Si vous vous intéressez aux « modes » en matière de management (voir Harmocratie, Allocratie…) elles ont pour point commun d’étendre la participation de tous les individus aux fonctionnement de leur organisation.
En effet, un individu impliqué a tendance à participer activement et à être moins critique.
Certaines entreprises bien connues (Michelin et autres…) sont les fleurons de ces approches. Elles ont effectué avec succès un énorme travail en profondeur et transformé le management de l’entreprise à tous les niveaux de la hiérarchie.
Le manager holistique est conscient des bienfaits d’impliquer toutes les forces de son organisation dans les processus d’information, de communication et même de décision. Mais souvent son organisation n’est pas prête à franchir le pas à très grande échelle.
Alors peut-il réaliser le prodige de déployer localement, simplement et à moindre cout ce type d’approche managériale, sans pour autant aller à l’encontre de la stratégie de son organisation.
Regardons le cas de cette usine française d’un peu plus de 100 personnes appartenant à un grand groupe mondial.
Au point de départ, le directeur de ce site, que nous appelerons Arthur s’interrogeait sur la manière d’interdire le téléphone mobile sur son site. Il ne comprenait pas que les salariés de son usine soient scotchés à ce petit écran, Aussi bien pendant les pauses, les repas et même pendant les heures de travail ils échangeaient sur les réseaux sociaux, avec leur amis, leur famille…
Charlotte, une jeune collègue conseilla à Arthur de regarder du côté des fondamentaux de l’être humain (ceux-là mêmes définis par Maslow en 1943). Dès lors que les besoins physiologiques et de sécurité sont comblés, comme c’est le cas dans nos organisations, l’humain a besoin d’appartenir à une tribu. Le besoin de reconnaissance, de se sentir utile, de se mettre en valeur.
Arthur réalisa que, si son organisation était une tribu et si l’ensemble de ses collaborateurs s’y sentaient utiles, mis en valeur et reconnus, bien des choses deviendraient possibles.
Charlotte ajouta, « Les réseaux sociaux que fréquentent la plupart de nos salariés permettent tous d’y créer des groupes privés, pourquoi ne pas faire entrer notre organisation sur les écrans de nos collaborateurs ? »
Charlotte et Arthur assistèrent alors à un festival d’excuses en tout genre de la part des autres managers
- Encore du travail supplémentaire,
- Les gens vont critiquer leur manager
- Le mobile est personnel, on ne peut pas l’utiliser pour le travail
Et bien d’autres que vous rencontrerez et créerez vous-même.
Arthur de conclure «C’est ce à peu près que disaient les utilisateurs du fax à l’arrivée du mail… c’est une manifestation de la peur du changement »
Finalement, avec l’accord de son organisation, Arthur décida de créer gratuitement un groupe privé de type Facebook (il existe de nombreuses plateformes plus ou moins professionnelles que Facebook).
Dans un premier temps, il imposa à ses proches collaborateurs d’alimenter ce groupe de toute information, communication qui n’avait pas de caractère confidentiel ni personnel. Non pas comme un travail supplémentaire, mais en remplacement des supports habituels (PowerPoint, mails, compte rendus…)
Rapidement, la page de la communauté prenait forme, on y trouvait des indicateurs de performance, des informations concernant des visites de clients, le cours de l’action de l’entreprise, des informations concernant des modifications de machines, mais aussi les anniversaires, la météo, le menu de la cantine et de petites anecdotes professionnelles voire des cartes postales de vacances.
Arthur pouvait désormais inviter l’ensemble des salariés de son site, y compris certains sous-traitants à rejoindre cette communauté virtuelle.
Comme pour tout changement, les plus curieux rejoignirent très vite le groupe et en devinrent les meilleurs ambassadeurs auprès de leurs collègues, si bien qu’au bout de quelques temps, plus de 60% des salariés avaient rejoint le groupe et en firent un véritable espace d’échange communautaire.
Bien entendu, il y avait les réfractaires de principes habituels, ainsi que des personnes en réelle difficulté devant les nouvelles technologies (parfois les mêmes d’ailleurs), mais ceux-là, en vérité, se tenaient discrètement informés de l’actualité communautaire auprès leurs collègues connectés.
Alors me direz-vous, quel intérêt sinon de créer un nouveau jouet technologique ?
- Tout d’abord, au bout de quelques temps, cette communauté est devenue le seul et unique lieu de diffusion de l’information (ceux qui connaissent les difficultés à diffuser correctement une information, à tenir des affichages à jour, à publier des indicateurs… savent que c’est déjà un avantage considérable)
- Les nouveaux projet étant mentionnés très en amont, ils étaient largement commentés et nombre de propositions et d’idées qui n’auraient probablement pas été connues ou considérés auparavant étaient désormais pris en compte dès le début.
- Débarrassé du quotidien qui était désormais partagées en temps réel, les rencontres avec les partenaires sociaux pouvaient désormais se concentrer sur les enjeux sociaux de fond et le dialogue social en fut renouvelé.
- Les tableaux d’affichages disparurent du site puisque chacun savait désormais ou les trouver plus facilement.
- Les PowerPoint et autres compte rendus étaient désormais des simples liens vers telle information disponible dans la communauté.
- Pris par le quotidien, les managers ont tendance à se focaliser sur les échecs au détriment des réussites, ils négligent le plus souvent de féliciter leurs collaborateurs d’une réussite. La communauté permet très facilement et à tout moment de « liker » et de commenter une réussite, Même si ça ne remplace pas un regard et une commentaire, c’est une reconnaissance publique et c’est déjà très apprécié de chacun.
Mais au-delà de tous ces changements, le véritable changement, c’est la naissance d’une tribu d’environ 70 membres, d’une identité dans laquelle tous les salariés participent et se reconnaissent.
Ils partagent désormais quotidiennement une quinzaine d’informations générant plus de 1000 lectures, échanges et likes.
Sans investissement, sans infrastructure, mais avec la conviction d’une petite équipe, le mobile était passé du statut d’ennemi à abattre au statut d’allié d’une communauté, et il devenait fréquent que les salariés interviennent, publient ou répondent en dehors de leur lieu de travail. L’entreprise était sortie de ses murs, elle s’exprimait désormais de partout, à tout moment.
Le succès de cette expérience fut rapidement connu en dehors des murs de cette usine et devint un modèle pour d’autres sites qui tentèrent également l’expérience.
Contrairement aux croyances, le plus difficile n’était pas de faire participer les collaborateurs, qui pour nombre d’entre eux sont déjà bien plus ouverts aux nouvelles technologies que leurs managers. Mais de vaincre la réticence des managers qui voient les nouvelles technologies comme un gadget et surtout le risque de perdre leur privilège de détention de l’information, et de pouvoir de décision. C’est donc de l’engagement et de la conviction managériale que dépends le succès d’un tel projet.
Le manager holistique a lu Asterix, il sait qu’une tribu unie peut arrêter les légions romaines. Alors il utilise les nouvelles technologies comme potion magique pour fédérer son village.